Peut-être le meilleur James Gray. Two Lovers a l’éclat des grands films et surtout leur subtilité. Au départ, rien de bien original, un homme se trouve écartelé entre deux femmes. Mais comment pourrait-on résumer ce drame amoureux à cette simple phrase? Les histoires d’amour chez James Gray, ressemblent à des tragédies grecques, mythiques, que ce soit dans The Yards ou La nuit nous appartient (qui parle surtout de l’amour entre un fils et son père). Mais James Gray peut-il faire autre chose que des polars (soi dit en passant The Yards et La nuit nous appartient sont des films majeurs dans le polar contemporain et dans le cinéma du 20 siècle, à voir donc, si vous ne les avait jamais vu)? Oui, triple oui. En consacrant 1h50 aux états d’âme d’un Léonard comme personnage principal, il transcende son cinéma. Il fait table rase, enlève histoires de mafia et tout ça, pour ne garder que l’essentiel, ce que seuls les maîtres savent retranscrire. C’est tout simplement un film sur l’amour et la passion, mais traité dans sa plus grande puissance, sa plus grande ambigüité et humanité.
Il y a d’abord Leonard qui saute d’un pont, séquence d’ouverture. Il est en train de se noyer quand il décide de remonter. Tout le personnage de Leonard est là. Pendant tout le film, il installe un climat d’incertitude et de tension autour de lui. Il est si fragile, si incertain et tombe passionnément amoureux de Michelle, son double féminin en quelque sorte. Et évidemment souffre. Il est à fleur de peau, Leonard. Joaquin Phoenix l’a bien compris en livrant un de ses plus belles prestations. Il y a la trentaine, mais on dirait un ado de 17 ans. Il vit chez ses parents, un peu renfermé sur lui-même, sort en cachette pour aller danser avec sa belle voisine, Michelle. Le thème de la famille est toujours là: ses parents sont étouffants, mais il faut les comprendre un peu, leur fils étant suicidaire. Ils vont même jusqu’à lui présenter Sandra, fille d’un ami de la famille qui va reprendre le pressing du père de Leonard.
Two Lovers est bien le genre de film qui ne parle pas pour ne rien dire. Les dialogues ils n’y en a pas tant. Quand il y en a, ils frappent de leur puissance. Le reste du temps, il y a les regards de Joaquin Phoenix (les coupables, les voyeurs par la fenêtre, les pleins de souffrances à en crever, les rares heureux…) et les caresses, les contacts d’un corps à un corps, seuls moments qui ancrent dans la réalité cette tragédie passionnelle. C’est noir tout ça, très sombre. Toujours la même magnifique esthétique de James Gray, qui vaut à elle seule de voir le film en salles (et en VO of course). Le film vit la plupart du temps la nuit, comme ses autres films. Les couleurs sont ternes, assombries au fur et à mesure. Les sublimes scènes sur le toit sont travaillées à l’extrème (son, lumière, couleurs…). Jusqu’à une des dernières scènes, de nuit, dans la cour, qu’on attendait et qu’on attendait pas, par envie de croire peut-être au conte de fées. Two Lovers s’élève là jusqu’au sublime. Grâce à Joaquin Phoenix, on ne le répétera jamais assez, parce que ce grand acteur veut arrêter le cinéma. Torturé, démarche gauche et maladroite, engoncée dans un anorak énorme, il traîne sa carcasse comme un boulet. Mais chaque scène tire sa puissance de sa douleur intérieure qui semble vouloir explosée à chaque instant. C’est beau, c’est diablement beau et pourtant si noir…Gwyneth Paltrow en est une autre preuve: voisine attirante et un peu excentrique dont s’éprend le héros, qui se révèle (auto)destructrice. Parce que trop fragile, trop brisée, trop amoureuse. La troisième de ce trio, Vinessa Shaw, campe la raison. Effacée par rapport aux prestations des deux autres, fiévreux et hantés par la souffrance, mais donnant l’équilibre parfait à un film qui aurait vite tomber dans le trop plein.
On est loin des amours faciles des comédies romantiques mais plutôt dans les tragédies amoureuses aux passions douloureuses. Si l’histoire d’un homme entre deux femmes peut paraître aux premiers abords déjà vu, James Gray n’a pas dit son dernier mot. Two Lovers est un drame noir aux personnages ambivalents et profonds, qui ne cherche pas à en faire des caisses. On ressort du cinéma le coeur lourd, c’est vrai. Comme tous les films du cinéaste, Two Lovers trouve sa place dans un cinéma exigeant mais pas intello, beau et grave, et vampirisé par Joaquin Phoenix, époustouflant. Du beau cinéma.
J’ose espérer que ce n’est pas la dernière prestation de Joaquin Phoenix, mais i elle l’est, il partira avec tous les honneurs dûs d’un acteur aussi talentueux que lui.