Ceux qui restent

Un homme et une femme

 

Emmanuelle Devos et Vincent Lindon. StudioCanal

Vincent Lindon et Emmanuelle Devos. StudioCanal

 

Bertrand et Lorraine sont ceux dont on ne parle pas ou peu, au cinéma et dans la vie. Ils sont ceux qui restent, ceux qui hantent les couloirs des hôpitaux pendant que leurs conjoints se font opérer, soigner, ceux qui culpabilisent de vivre pendant que l’autre souffre et meurt. Le parti pris du premier film d’Anne le Ny est de ne montrer qu’eux. Les malades – la femme de Bertrand, le copain de Lorraine – ne sont jamais montrés, fantômes derrière une porte toujours close, silhouette esquissée sur une photo, présents et absents. Ici l’histoire se déroule dans le hall d’un hôpital, un kiosque de journaux, une voiture. La femme de Bertrand est malade depuis 5 ans, cancer du sein, et celui-ci, depuis qu’elle a été admise une seconde fois à l’hôpital, vient la voir tous les après-midi. Il supporte, il encaisse les coups, tente de comprendre sa belle-fille, tente de (sur)vivre. Lorraine, elle, vient d’emménager avec ce gars depuis quelques mois et voilà qu’il se retrouve à l’hôpital, cancer du colon, sans prévenir. Lorraine a du mal, elle n’aime pas cet endroit, elle se sent s’éloigner de cet homme qu’elle devrait soutenir plus que tout mais qui la dégoûte. Alors elle parle de tout, de rien, à un homme qu’elle croise dans un couloir. Bertrand. Elle le ramène en voiture, ils se retrouvent pour prendre un café, parlent des médecins, de l’avancement des traitements. Ils sont tous les deux dans la même galère, les autres ne peuvent pas comprendre. C’est avec beaucoup de finesse qu’Anne le Ny tisse la relation entre Bertrand et Lorraine: tous deux s’accrochent à l’autre comme à une bouée, tombant lentement amoureux, se refusant à l’admettre. Le film est grave mais pas écrasant ou lourd, ni complaisant. L’histoire, complexe, ne tombe pas dans le misérabilisme ou le déplacé, mais montre la difficulté d’être à leur place, la difficulté des sentiments. La réalisatrice évite les écueils du genre (drame français). Pas de facilité, mais de la justesse. L’émotion n’est pas appuyée, elle se distille au fur et à mesure de l’oeuvre. Le film est beau, rien de moins. C’est un film fait de silences, de regards et de frôlements. Et qui parle du deuil d’une autre façon. Grâce à sa mise en scène rythmée, son scénario réussi et intelligent et ses acteurs, Anne le Ny réussit brillamment le passage de devant la caméra à derrière. Vincent Lindon et Emmanuel Devos sont magnifiques et magnifiés. Ils campent un homme et une femme essayant de survivre, de se relever après chaque coup asséné. Ils sont drôles, tendres, maladroits, plein de rancœur et de douleur. Ils sont vivants, et en souffrent. On peut même se demander si au final les héros, ce ne sont pas eux, ceux qui ne sont pas malades mais qui encaissent, qui supportent tout, qui ont peur de vivre, de rester seul si l’autre part trop tôt, qui souffrent, qui tombent mais se relevent, des bleus au corps mais avec toujours de l’espoir et de la détermination. Ceux qui restent.

 

 

 

StudioCanal

 

 

 

 

 

 

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