Rapt

L’enlèvement
 

Yvan Attal. David Koskas

 

Stanislas Graff, président d’une grande entreprise française, est un homme de pouvoir, bourré aux as, mais qui cache une « double vie »: il accumule les liaisons et perd des sommes folles au poker. Mais un matin, il est enlevé par des hommes cagoulés. L’enfer pour lui commence à cet instant, pendant que la police, les associés et la famille de Stanislas mettent plus longtemps que prévu à payer la rançon…

Rapt est un grand film de Lucas Belvaux, dépouillé, glaçant mais d’une intelligence redoutable. Il suffit à Belvaux de quelques plans, des quelques minutes d’ouverture pour présenter l’homme, Stanislas, alors homme de pouvoir (argent, responsabilités, maîtresse, parties de poker…), qui passera quelques minutes plus tard au statut de victime, homme brisé, rabaissé par les kidnappeurs du rapt. Un rapt qui tend à montrer une humanité inhumaine (les bourreaux contrairement à Graff n’attirent aucune empathie) mais également une critique sociale. C’est une réflexion sur le pouvoir et l’argent (qui domine le monde, pour qui les hommes sont prêt à tout) à travers la figure de Stanislas, qui perd tout en quelques semaines. Et quand il sort de cet enfer, c’est pour mieux être rejeté (sa « deuxième vie » connue de tous), abandonné par sa boîte, sa famille. Jugé par tous, il est encore plus seul que lors de son rapt, incompris et profondément marqué, moins physiquement que moralement. Belvaux montre avec une certaine cruauté froide, voire hypocrisie (on répète à Stanislas qu’il a l’air en bonne forme, qu’il n’a pas l’air si mal que ça, mais personne ne tente de savoir si moralement tout va bien), la difficulté de comprendre ce que l’autre a vécu : il y a d’un côté, lui, Stanilas, et de l’autre côté, les autres, ceux qui n’étaient pas là. La frontière est de plus en plus épaisse dans la dernière partie du film, le fossé se creuse. La seule compagnie qu’il accepte et qui l’accepte est celle de son chien (symbole de ce qu’il a vécu, lui aussi plus tout à fait humain, réduit à l’animalité pendant son kidnapping).
Un rapt abrupte, dur, inhumain (le titre déjà prévient la brutalité du film par sa brièveté), avec des kidnappeurs dont on ne verra jamais le visage, et qui pourraient être n’importe qui, puisque Belvaux montre avant tout le pouvoir de l’argent et sa fascination sur les hommes. Lorsque Stanislas change de « prison », il atterrit avec un kidnappeur aussi cagoulé, un marseillais, qui tente de « lier » avec le prisonnier. La violence est sourde, tapie dans cet accent marseillais qui lui parle presque avec gentillesse, mais qui dérange encore plus que la brutalité des autres (la scène où l’homme lui parle de fusil et de chasse, pendant qu’il lui remet une chaîne au cou).
La cruauté du film ne réside pas seulement dans l’attitude des kidnappeurs et du rapt, mais dans tout ce que cet évènement va soulever. Belvaux, s’il ne juge jamais son personnage principal Stanilas, livre une critique des médias, à travers leur rapacité et leur manipulation (même sur les kidnappeurs puisqu’ils croient tout ce que la presse dit, comme l’argent que Graff possède) ainsi que sur la mémoire très courte des journaux (télévisés, presse) comme s’en rend compte un Stanislas choqué, lorsqu’il découvre qu’on ne parle plus de lui, oublié et toujours emprisonné. Et puis évidemment, Rapt est une charge contre les patrons et la justice (qui en vient même à le suspecter d’avoir programmé son rapt pour gagner encore plus d’argent). La réaction de l’entourage de Stanislas lors du rapt en est presque choquante: sa boîte refuse de payer quoi que ce soit, accepte « gracieusement » d’avancer 20 millions d’euros, mais ne veut s’engager plus, et lorsqu’elle découvre les secrets de Graff, on sait d’avance que celui-ci, une fois revenu, sera évincé. Au final, chacun cherche à protéger ses propres intérêts, quitte à ce que Stanislas soit tué.
En opposant dans la narration deux points de vue (celui de Stanislas et les autres, police, famille, associés), Belvaux donne une certaine nervosité à son film, qui devient par moment limite anxiogène dans certaines scènes (comme lorsqu’un flic doit livrer la rançon). Du cinéma français de haut vol, porté par un Yvan Attal remarquable et transfiguré. Les acteurs secondaires sont également excellents. L’aspect théâtral de la diction des acteurs à certains moments est d’abord surprenant, puis oublié. En fin de compte, Belvaux ne chargent pas son film de dialogues et de mots, le regard de Attal dans sa « cellule » suffit à faire passer l’inhumanité, la cruauté, l’horreur du geste, du rapt. Tout ça, pour de l’argent.

Inspiré d’un fait divers (l’enlèvement de Empain en 1978), Rapt de Lucas Belvaux est un film très noir, intelligent et remarquable sur le pouvoir et l’argent à travers Stanislas, homme déchu. Superbe.

Diaphana Films

 

 

 

 

One thought on “Rapt

  1. Wow, superbe travail, je vous remercie de partager cette astuce et je partage pleinement votre opinion ! J’insiste, oui votre travail est excellent, j’y ai trouvé une mine d’infos intéressantes. NB : D’ailleurs, auriez-vous des forums ou blogs à me suggérer ?

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