Black Swan

 

Mila Kunis & Natalie Portman. Twentieth Century Fox France

Natalie Portman & Vincent Cassel. Twentieth Century Fox France

 

Nina est danseuse au New York City Ballet. Thomas Leroy, un metteur en scène reconnu, cherche qui incarnera la Reine des cygnes dans son ballet Le Lac des cygnes : Nina est choisie, mais elle peine à saisir le cygne noir, alors qu’elle maîtrise à la perfection le cygne blanc. Alors qu’une rivale surgit dans la troupe, Nina est prête à tout pour réussir.

Il y a de nombreuses ressemblances entre The Wrestler, précédent film de Darren Aronofsky, et son dernier à date, le magnifique Black Swan, beau ballet tragique, assez pour dire que les films sont liés et se répondent, chacun entrant en résonance avec l’autre. Le corps, voilà ce qui intéresse le cinéaste : des corps fatigués, abîmés, poussés à l’extrême, souffrant mais se surpassant…jusqu’où pourront-ils tenir? Que ce soit le corps vieillissant de Mickey Rourke, ancien boxeur voulant renouer avec sa gloire passée, ou le corps mince mais fragile, meurtri par d’anciennes blessures et névroses, de Natalie Portman, ballerine souhaitant le succès mais se perdant en chemin, Aronofsky les met à mal, les torture et les magnifie. L’histoire de Black Swan se déroule dans le monde assez fermé des danseuses du New York City Ballet qui poussent leurs corps et esprits à se surpasser, continuellement, jusqu’à ce qu’elles deviennent trop vieilles (entendez 35 ans) et soient remplacées par de nouvelles jeunes premières. Le réalisateur dépasse rapidement le cadre de base dont il s’inspire pour se lancer dans un film vertigineux, éblouissant, éprouvant, torturé, excessif. Darren Aronofsky s’intéresse au point de rupture, quand l’esprit ne peux plus suivre le corps. C’est la descente aux enfers de son héroïne principale, Nina, au centre du film, et surtout sa motivation qu’il préfère explorer : un personnage en quête de la perfection, du dépassement de soi, explosant toutes les limites, corporelles et psychologiques, pour l’art, la création, la beauté, quitte à se noyer dans un univers cauchemardesque. Poussée par son metteur en scène, un peu pervers et dur, qui lui met la pression, attirée et effrayée par la belle Lily, sa rivale au centre de ses fantasmes et étouffée par une mère abusive et dévorante, Nina perd pied : pour devenir le black swan (le cygne noir), elle sombrera dans la folie, la schizophrénie et la paranoïa. Le film joue sur les paradoxes et les symboles, (certains trouveront ça lourd, pas moi, car tellement bien écrit et tourné) : le cygne blanc/le cygne noir, le blanc/le noir, le mal/le bien, passage à l’âge adulte et à l’indépendance symbolisé par la rébellion contre la mère, la peur d’être remplacée par Lily (comme elle a remplacé Beth), et évidemment tous les fantasmes d’ordre sexuels (besoin de se libérer pour incarner le cygne noir, Lily, son metteur en scène Thomas…). Le cinéaste va jusqu’au bout de ce qu’il veut filmer, sans concession. Drame psychologique, thriller érotico-fantastique, film d’horreur, Black Swan est tout ça, au risque de diviser et de se faire détester (ou bien adorer). Mais il y a au moins un point qui met tout le monde d’accord, c’est celui du casting (Vincent Cassel, Mila Kunis, Barbara Hershey, Winona Ryder, tous excellents) et surtout de son héroïne, Natalie Portman, qui décroche le rôle de sa vie, extraordinaire tout simplement (l’Oscar est à elle, personne ne peut plus le mériter). Cette variation sur Le Lac des cygnes culmine dans un final d’une trentaines de minutes, intense, violent, grandiose et douloureusement beau. On ressort de la salle éreinté, vidé, comme si nous aussi, on avait partagé les douleurs de Nina. Black Swan ne remportera sans doute pas l’Oscar, car pas assez consensuel et formaté, et c’est bien dommage, mais il n’en demeure pas moins l’entrée, pour de bon, de Darren Aronofsky (Requiem for a dream, The Foutain, The Wrestler) dans la cour des grands : celui-ci atteint presque la perfection avec Black Swan. Voici un des plus grands films de l’année.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4 thoughts on “Black Swan

  1. J’ai été conquis aussi par ce film d’Aronofsky qui compile les termes de ses précédents films (le sacrifice passionnel à la ‘Wrestler’, l’immersion psychologique type ‘Pi’ et ‘Requiem for a dream’, et le goût du fantastique comme ‘The Fountain’).
    Pour moi, c’est une consécration. C’est beau, maitrisé et intelligent !

  2. Grosse claque qu’est ce film. Tous les autres paraissent presque ridicules.
    Une belle leçon de cinéma qui renvoie bons nombres de réalisateurs à leurs chères études. Cependant, je préfère « Requiem for a dream » qui a été bien plus sensoriel et choquant pour moi !

  3. Un film qui m’a happé dès la première scène : la musique de Tchaïkovski, l’éclairage expressionisme dans lequel évoluent Rothbart et le Cygne blanc, le mouvement virtuose de la caméra autour des deux personnages, m’ont littéralement plongé dans le cauchemar de Nina. Ce que n’avait pas réussit Nolan avec Inception (du moins pour moi)…

    Pour cette œuvre à la beauté sombre, baroque, l’auteur de Pi opte ici pour un style brut, filmant Nina caméra à l’épaule, souvent de manière subjective, ce qui a pour effet de restituer pleinement son énergie, sa souffrance. Certes, ne soyons pas complètement naïf : la multiplication de plans serrés a sans doute aussi pour objectif de dissimuler certains trucages, des doublages… Il n’empêche, le résultat est là : on ressent viscéralement les émotions de la ballerine, sa plongée dans l’abîme. Expérience étrange et déconcertante, et cependant fascinante, hypnotique, puisque finalement il devient difficile pour le spectateur lui-même de faire la distinction entre le réel et le fantasme. Comme s’il n’était plus simplement observateur, mais aussi acteur, par identification à Nina.

    Evidemment, Black swan ne nous procurerait pas ces sensations sans son casting. Natalie Portman, présente à chaque plan, investit son rôle avec la même implication physique et psychique qu’une Charlotte Gainsbourg dans Antichrist. Vincent Cassel, inquiétant mentor de la jeune femme avec son visage de faune, livre ici l’une de ses prestations les plus aboutie. On citera également les belles performances de Winona Ryder, bouleversante en danseuse étoile déchue et humiliée ; de Mila Kunis, qui insuffle à son personnage sa nature instinctive, animale ; enfin, de Barbara Hershey, qui nous rappelle ici qu’elle fut l’une des actrices les plus marquantes des années 1980 (entre autres, L’étoffe des héros, Hannah et ses soeurs, La dernière tentation du Christ).

    Depuis la sortie de Black swan, nombre de commentateurs (professionnels ou blogueurs) ont été tentés par une comparaison avec Les chaussons rouges (1948). C’est une démarche certes séduisante, mais à mon sens peu pertinente, car si ces deux films évoquent le monde secret de la danse classique, si tous deux mettent en scène une héroïne consumée par le désir d’excellence, si leur épilogue est également tragique, il n’y a rien de commun entre la flamboyance du chef-d’œuvre de Michael Powell et d’Emeric Pressburger -ce n’est pas pour rien que Martin Scorsese dit à son propos qu’il s’agit du plus beau film en technicolor- et les choix esthétiques de Darren Aronofsky. Je dirais même que tout les oppose. Si l’on devait absolument trouver une filiation à Black swan, il me semblerait plus juste d’évoquer Répulsion (1966) de Roman Polanski, pour la dérive schizophrénique de son héroïne, ou La mouche (1986) de David Cronenberg, pour ses transformations corporelles.

    Deux interrogations, avant de conclure. Black swan est-il un film révolutionnaire ? Probablement pas. De toute façons, je ne crois pas qu’il y ait de révolution en matière d’art. A la rigueur, j’admets des tournants décisifs, dus à quelques génies. Car, comme je l’ai dit par ailleurs (désolé Fred…), chaque grand créateur se nourri de ce qui l’a précédé. Il n’y a pas de génération spontanée. Ainsi, dans Citizen Kane (re-désolé Fred…), Orson Welles ne fait-il que reprendre des innovations de réalisateurs qui l’ont précédé (Marcel Carné recourut au flashback dès 1939, dans Le jour se lève). Sa véritable contribution réside dans leur systématisation.

    Black swan est-il un chef-d’œuvre ? Il serait bien présomptueux de prétendre répondre à cette question avec aussi peu de recul. L’histoire de la critique montre que celle-ci n’a pas toujours eu cette élémentaire prudence, encensant des films vite oubliés, se livrant par ailleurs à un jeu de massacre contre des œuvres aujourd’hui unanimement saluées. Restons donc modeste et contentons-nous de dire que Black swan restera sans doute assez longtemps dans les mémoires des spectateurs comme un tourbillon d’émotions d’une intensité rare. C’est déjà beaucoup.

    It was perfect, lance Nina dans un dernier souffle à Thomas à la fin du film. C’est aussi mon sentiment…

  4. Grave d’accord, ce film est une bombe visuelle et intellectuelle ! Et d’accord aussi sur Portman, qui DOIT remporter une récompense !

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