Mattie Ross, 14 ans, veut venger son père, assassiné lâchement par Tom Chaney, une brute qui fuit dans les territoires indiens. Mais pour retrouver Chaney, elle aura besoin d’aide : elle engage alors le marshall alcoolique et borgne, Rooster Cogburn. Tous les deux embarquent alors pour une grande aventure. True Grit désappointera sans doute les fans des Coen s’ils attendaient à un film déjanté façon Fargo. Avec No Country for old men, les deux frères avaient déjà touché au genre du western, moderne cette fois-là, en filmant une chasse à l’homme dans les plaines du Texas fascinante et périlleuse. True Grit n’a pas la même folie, la même absurdité. C’est un western, un vrai de vrai, qui s’assume. Dans la pure tradition du genre, reprenant tous les codes…mais avec la marque des Coen. A la fois un hommage à ceux qui l’ont créé (de Sergio Leone à Henry Hathaway) et un retour aux sources pas forcément facile aujourd’hui (le western n’est pas très à la mode dernièrement). Adapté du roman de Charles Portis, le film des Coen n’est pas le premier a avoir adapté pour le cinéma cette histoire : Henry Hathaway l’avait déjà fait avec 100 dollars pour un shériff avec John Wayne. En lieu et place de l’illustre acteur, c’est Jeff Bridges, monstre de talent, qui assure le spectacle en marshall vieillissant désagréable et porté sur la boisson. Il donne au film cette saveur incongrue, piquante et diablement drôle. Le trio qu’il forme avec Mattie (Hailee Steinfeld, excellente) et le Texas Ranger LaBoeuf (Matt Damon, impec’) donne d’ailleurs au film ses meilleurs dialogues.
Mais l’aspect classique (que beaucoup reproche aux Coen), n’empêche pas de vivre cette histoire sans l’étouffer dans les carcans du genre : au contraire, les deux réalisateurs semblent se délecter comme deux enfants jouant aux cow-boys. On voit ce qui a pu intéresser les Coen dans cette histoire où une petite fille de 14 ans, dans un monde alors violent et plutôt masculin, décide de braver tous les dangers pour venger son père. Le film se mue alors un périple initiatique, puisque évidemment cette vengeance signera la fin de l’enfance pour Mattie Ross. Même si celle-ci a une logique parfois adulte, n’oublions pas qu’elle n’est qu’une enfant de 14 ans, comme elle-même le rappelle. Son désir de voir Chaney puni, voire mort, l’emportera sur tout ces préceptes, elle qui semblait si à cheval sur la loi et désireuse de la respecter.
True Grit réunit tout ce qu’il faut pour faire un bon western : un marshall grande gueule, des coups de fusil, des courses poursuites à cheval, de l’action, des méchants…mais pour notre plus grand bonheur de spectateur. La fin peut certes paraître peut-être trop sage, trop lisse et l’ensemble manquer d’intensité, de passion. True Grit n’a pas la beauté crépusculaire de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007), mais possède une certaine mélancolie attachante. Et un Jeff Bridges renversant.
Les frères Coen redonnent ici ses lettres de noblesse à un genre un peu moribond, en dépit de quelques brefs sursauts ces dernières années, notamment Lassassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Car True grit est brillamment écrit et servi par des dialogues magistraux (comme souvent avec le tandem). Impossible, évidemment, de citer toutes les répliques. On retiendra surtout les insolences de Mattie, particulièrement savoureuses (il ny a pas de clown de rodéo dans le comté de Yell, lance-t-elle à LaBoeuf en découvrant le Texas ranger à son réveil, assis dans sa chambre).
Sur le plan esthétique, True grit est également parfaitement maîtrisé. La photographie signée Roger Deakins, un fidèle des deux cinéastes (il a officié sur Barton Fink, Le grand saut, Fargo, The big Lebowski, OBrother, The barber, Intolérable cruauté, Ladykillers, No country for old men, A serious man), est une pure merveille, dans la lignée du film dAndrew Dominik auquel il a également collaboré.
Linterprétation est aussi éminemment réjouissante. Jeff Bridges est une nouvelle fois parfait et me fait relativiser la performance finalement un peu trop scolaire de Colin Firth dans Le discours dun roi (ce crime de lèse-majesté ne devrait pas manquer de faire pousser des cris d’orfraie à certains !). Matt Damon, méconnaissable, joue avec beaucoup dhumour avec son image. Mais la révélation du film est bien la jeune Hailee Steinfeld, absolument bluffante, et qui mérite largement lOscar du meilleur second rôle féminin, pour lequel elle est nommée.
Mais True grit est bien plus quun simple film de genre appliqué. Centré sur le personnage de Mattie, il est surtout un conte initiatique, une sorte dAlice au pays des merveilles à lépoque de lOuest sauvage, avec son bestiaire fabuleux (le cheval monté par un ours), son univers absurde (le pendu accroché à lune des plus hautes branches dun arbre, dont le cadavre devient l’objet dun troc surréaliste), ses paysages sauvages plongés dans une lumière irréelle, presque fantastique, et la chute finale de ladolescente dans un puits sans fond, comme lhéroïne de Burton.
Je parle de conte, mais je pourrais tout autant qualifier ce film de parabole biblique (la morsure de Mattie par un serpent, la chevauchée nocturne -splendide- de Cogburn sur fond de ciel étoilé). Une orientation que semble confirmer la musique du générique de fin, le cantique Leaning on the everlasting arms, tiré de La nuit du chasseur, de Charles Laughton. Le parallèle entre les deux films est dailleurs une évidence, puisque tous les deux sont construits sur des dichotomies (le bien-le mal, le jour-la nuit ).
Même si les frères Coen s’adressent ici à un public plus large qu’avec A serious man (il suffit pour s’en convaincre de regarder les chiffres du box-office), ils n’en sacrifient pas pour autant leurs ambitions, en sorte que True grit devrait occuper une place importante dans leur filmographie. Bref, un film qui a tout pour devenir un classique.