Benjamin Avila passe directement dans la cour des grands avec Enfance Clandestine, son premier long de fiction (il a d’abord réalisé un documentaire). Enfin, fiction mais pas tant que ça, puisque le film “tiré de faits réels” puise dans ses propres souvenirs et sensations, et prend place pendant la dictature latino-américaine en Argentine 1979: les parents du héros sont des militants montoneros exilés à Cuba qui décident de revenir dans leur pays d’origine pour lancer une contre-offensive.
C’est à travers Juan que le film se déploie et que l’on découvre les enjeux. Traqués par la police, lui, ses parents, sa petite soeur et son oncle, se cachent dans une maison où leurs camarades et famille ne peuvent venir que les yeux bandés et cachent leurs armes dans des boîtes de cacahuète en chocolat. Juan devient Ernesto et doit cacher son identité, ne pas se trahir. Ce qu’il prenait comme un jeu au début va devenir de plus en plus lourd et l’atmosphère est de plus en plus tendue. On sent le respect et l’amour qu’à Benjamin Avila pour ces militants, ce père et cette mère, aimants (gros plans sur leurs visages, leurs étreintes), mais son recul d’adulte aujourd’hui voit également comment l’enfance de ce petit garçon a été sacrifié. C’est là toute l'ambiguïté du film et qui le rend si bouleversant. La scène entre la grand-mère de Juan et sa mère est déchirante : se heurte bruyamment, sauvagement, l’amour d’une grand-mère et d’une mère, l’une voulant protéger ces petits-enfants d’un danger, d’une mort qui approche de plus en plus vite, l’autre refusant qu’on lui vole son rôle de mère.
Le film raconte le parcours initiatique entre l’enfance et l’âge adulte d’un petit garçon et fait en filigrane le portrait de l’Argentine des années 1970. Juan va à l’école, fête son anniversaire (à une date qui n’est pas la sienne, mais celle de ce Ernesto), tombe amoureux de la gracieuse Maria…Il veut vivre comme un enfant “normal” mais les sirènes de police et les hommes qui tombent autour de lui l’en empêchent. Lorsque ses parents l’interdisent de retourner à l’école (trop dangereux, le filet se ressert autour d’eux), Juan décide de choisir l’amour et dans un geste de révolte, prend son sac et court chez Maria. Il lui parle de Brésil, de partir, de s’aimer, de grandir sans adultes, de ses idéaux à lui. Mais la réalité le rappelle à l’ordre. La fin se précipite sur eux et laissera des larmes et du vide. Si les thèmes du militantisme et de la clandestinité chargent en tension ce film, c’est l’histoire d’amour entre ces deux enfants qui apporte innocence et pureté. Avoir pris comme point de vue ceux des enfants, et non des adultes, – comme c’est souvent le cas – (Wes Anderson l’a fait récemment avec Moonrise Kingdom) , apporte une touche de fraîcheur, d’originalité et d’émotion.
La réalisation de Benjamin Avila, sensorielle et sensible, plonge le spectateur dans l'histoire de ce jeune garçon. La musique, magnifique, apaise la dureté du propos. Et quand la violence est trop forte, les images “réelles” se transforment en dessins : on est ainsi immergé dans l’esprit de Juan, tentant d’échapper à la violence qui l’entoure en l’atténuant par des "coups de crayons".
Enfance Clandestine que l’on a qualifié de meilleur film latino-américain 2013 et qui a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2012, est une claque, un récit poignant, porté par des acteurs fabuleux et un scénario tendre et violent à la fois. A ne pas rater !
DVD reçu dans le cadre de l'opération DVDtrafic par Cinetrafic. Un grand merci !
Enfance Clandestine de Benjamin Avila
DVD sorti le 1er octobre, distribué par Pyramide Films
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