« Mais lorsqu’elle me parle de son mari, je ne suis pas sûre qu’elle dise la vérité. Ce n’est pas la vérité qui m’intéresse. Je veux juste capter ce qu’elle dit, ce qu’elle veut dire, ce qu’elle veut laisser comme témoignage, même, et surtout, si elle joue. Je me contente moi aussi de son cinquième de vérité. La vérité est toujours, heureusement, ailleurs. Je n’écris pas pour la juger. Elle est un personnage de roman.»
Dans son très beau roman, Elle joue, Nahal Tajadod dresse le portrait d’une jeune actrice iranienne, Sheyda. Ce qu’il faut savoir avant d’ouvrir ce livre c’est que Sheyda, c’est Golshifteh Farahani ; ou du moins la version romancée par l’auteur de l’actrice après de longs entretiens ; méga-star dans son pays qui risqua tout pour jouer aux côtés de Leonardo DiCaprio dans Mensonges d’état. Elle y incarnait une infirmière qui tombe amoureuse du héros. Lors de son retour dans son pays, elle est arrêtée et interrogée, son passeport lui est enlevé et elle sera surveillée pendant sept longs mois au bout desquels elle arrivera à quitter le pays. C’est son histoire, son destin de femme-actrice aujourd’hui exilée que Nahal Tajadod raconte, avec beaucoup de poésie et de pudeur dans Elle joue.
Il y est évidemment question de cinéma, de ses propres tournages mais aussi de la difficulté de faire un film en Iran, de toutes les barrières qui se dressent devant un cinéaste. Il y est aussi, évidemment, question de la femme, être une femme en Iran: deux époques s’entre-mêlent, celle de l’auteur qui a grandi en Iran durant le règne du Shah, et celle de l’actrice, qui est née après la révolution de 1979 et a donc grandi sous le régime islamique. C’est puissant, touchant, révoltant aussi, quand Sheyda, alors qu’elle marche dans la rue se fait jeter de l’acide sur les mains, juste parce qu’elle est femme.
L’auteur nous dit bien que c’est un roman, qu’elle a romancé la vie de Golshifteh – devenue Sheyda – avec ses mots. Le roman s’ouvre sur cette citation « Une histoire qu’on raconte n’est pas la même que celle qu’on écoute… » (Ingmar Bergman à propos de son film Persona). Parmi ces 380 pages, il y a donc des moments vrais, des mensonges et des choses tues, cachées, qui n’appartiennent qu’à elle(s). Nahal Tajadod revient sur tout, son enfance, ses premiers rôles, son talent pour la musique, ses amours, son engouement pour le théâtre et le cinéma, toujours. Mais aussi les moments plus sombres de sa vie, ses démêlés avec la justice, la censure, son exil, déchirant. Se dessine le portrait d’une femme forte et fragile à la fois, pleine de vie, considérée comme une super star dans son Iran puis rejetée.
Elle joue est un témoignage vibrant de deux femmes, une ode à la liberté et une déclaration d’amour à tous les acteurs et actrices restés là bas, qui luttent chaque jour pour se faire entendre et continuer à jouer, alors qu’ils sont considérés comme RIEN. Ce qu’ils ne sont définitivement pas.
« En Iran, dans l’administration, lorsque tu dis que tu est un acteur ou une actrice, ils rayent la case qui correspond à ce métier. Un trait noir à la place d’ « acteur », de « bazigar ». Ils aimeraient tellement rayer d’un trait tout aussi noir, notre existence même {…|} Ce que tu fais ne rentre pas dans la catégorie des professions libérales. Non, tu n’as pas de métier ou, plus exactement, ton métier est RIEN. »
Si vous n’avez pas encore vu de films avec Golshifteh Farahani, courrez la voir dans: A propos d’Elly – Mensonges d’état – Poulet aux prunes – Syngué Sabour – My Sweet Pepper Land – Just like a woman – Exodus
A voir bientôt dans Les Deux Amis de Louis Garrel, en salles le 23 septembre