Un Certain Regard – Festival de Cannes 2016
Prix du scénario
Quel plaisir de retrouver les soeurs Coulin (Delphine et Muriel) au Festival de Cannes après l’excellent 17 filles, présenté à la Semaine de la critique en 2011 ! Adapté du roman de Delphine Coulin, Voir du pays va s’intéresser aux femmes dans l’armée. Aurore et Marine sont de jeunes militaires revenant d’Afghanistan. Avant de retourner en France, leur section va passer trois jours dans un hôtel cinq étoiles à Chypre. Ce que l’armée appelle un « sas de décompression », un lieu où ils vont devoir oublier la guerre, se libérer de la violence et de ce qui s’est passé là bas.
Voir du pays est un film fort et fascinant, qui fait froid dans le dos, sur les dérives de la guerre et de la violence. C’est un aussi un film engagé et féministe, mettant en scène deux héroïnes qui se battent contre le machisme ambiant. En plaçant cette section dans un sas de décompression, les réalisatrices tendent à enlever tout le côté glamour de l’armée et veulent du réalisme : on y voit des hommes et des femmes en proie à des dilemmes intérieurs, des souffrances, des cauchemars qui les hantent, traumatisés par ce qu’ils ont vécus, emplis d’une violence sourde qu’ils vont devoir canaliser sur cette île avant de rentrer chez eux. En suivant les deux héroïnes durant ces trois jours, on sent l’atmosphère devenir de plus en plus chargée, lourde, comme un orage prêt à éclater. Le drame devient thriller, l’ambiance moite, sombre, tendue. On est à hauteur de femmes (et d’hommes) et c’est terrifiant. Les deux actrices principales, la rare Soko et Ariane Labed, sont excellentes et portent à bras le corps ces rôles pas faciles, femmes fortes et fragiles à la fois.
Dans 17 filles, les adolescentes se revendiquaient avec leurs corps (en tombant enceinte) et le passage à l’âge adulte était plus brutal que ce qu’elles escomptaient. Tel un prolongement de ce premier film, on apprend que Marine et Aurore viennent de Lorient, la même ville que les 17 filles, et que victimes d’un ennui mortel elles se sont engagées. Des destins de femmes passionnants, qui vont se heurter à la dure réalité de ce monde. Les soeurs Coulin sont vraiment passées dans la cour des grands avec un film remarqué et remarquable, saisissant, qu’il ne faudra pas manquer lors de sa sortie en salles (le 7 septembre). Il est des réalités difficiles à voir, à accepter et Voir du pays fait l’effet d’un uppercut, un film qui va questionner, remettre en cause et secouer (voir également les articles sur les femmes dans l’armée dans la revue Causette).