Malgré une sortie confidentielle, j’ai eu la chance de découvrir Un jour dans la vie de Billy Lynn, le nouveau film de Ang Lee, sur grand écran. Pas dans la version voulue par le cinéaste puisque celui-ci a tourné son film en 120 images par seconde en résolution 4K et en 3D, et que les salles de cinéma ici ne sont pas équipées de cette technologie. Mais malgré tout, cela vaut réellement le coup de jeter un oeil à ce film qui mérite bien plus que sa sortie trop discrète.
Se déroulant sur une journée et parsemée de nombreux flash-backs, Ang Lee nous raconte l’histoire d’un jeune soldat américain Billy Lynn, héros meurtri, traumatisé, hanté par ce qu’il a vu et fait durant la guerre, érigé en héros par son pays. Et à travers cette histoire, c’est une radiographie acérée et cynique des Etats-Unis d’aujourd’hui qu’il nous livre. Certes les thématiques de la guerre et des soldats fragilisés par la violence et incapables de se ré-adapter ont déjà été abordés (on pense à Dans la vallée d’Elah de Paul Haggis, Voir du pays des soeurs Coulin, mais aussi à l’excellent A war de Tobias Lindholm qui se demandait si une guerre propre est possible). Mais le réalisateur taïwanais tire son épingle du jeu en l’abordant différemment. En confrontant le monde des paillettes, de la célébrité à celui de l’armée, de la guerre, des soldats rentrés au pays qui ont connu la violence, celle qu’un civil ne pourra jamais connaître. Voilà notre régiment de jeunes soldats face à l’outrance, l’excès, la bêtise, le capitalisme, l’argent facile, l’hypocrisie, l’artificiel. Les voilà parachutés lors d’un match de football américain, se devant de sourire et serrer des mains, célébrés en héros, dans » un mélange surréaliste et assez psychotique de patriotisme, d’exceptionnalisme américain, de musique pop, de porno soft et de militarisme avec d’innombrables soldats au garde-à-vous sur le terrain, lever de drapeau et feux d’artifice », comme le dit très bien l’auteur du roman dont est adapté le film, Ben Fountain.
Le fossé est large entre la réalité de la guerre, dans laquelle la mort peut surgir d’une seconde à l’autre, dans laquelle il faut se méfier de tous, être aux aguets et le show que doivent assurer les jeunes soldats lors de leur retour au Texas. L’outrance et l’artificiel avant de repartir à la mort, de retourner au front. La promesse d’un film, de beaucoup d’argent et de la célébrité avant de remettre l’uniforme et de risquer sa vie, pour de vrai. Et pourquoi au final ? Le film interroge les motivations de Billy Lynn, ses sentiments, son envie d’une vie « normale » (avoir une petite amie par exemple), et en même temps sa fidélité pour ses compagnons d’arme, sa peur du monde « réel » dans lequel il ne trouve pas sa place. Le jeune inconnu Joe Alwyn est excellent dans le rôle-titre, faisant transparaître parfaitement le malaise de ce soldat, les moments de doute, de peur, les souvenirs qui le hantent, la violence des actes qui restent gravés en soi. Ang Lee a également eu la bonne idée de confier à Garrett Hedlund et Kristen Stewart, acteurs reconnus, deux rôles importants, pour lesquels ils s’imposent sobrement. Seules les scènes avec la pompom girl, Faison, sont caricaturales et plus faibles que le reste du long-métrage. Sinon, c’est une réussite qui méritera une seconde vie lors de sa sortie en dvd et blu-ray.