Kathy, Tommy et Ruth sont trois amis vivant dans un pensionnat, Hailsham, pas comme les autres. Mais eux-mêmes ne sont pas des pensionnaires comme les autres. Coupés du monde, ils attendent d’être assez âgés pour partir et plus tard, être des donneurs d’organes.
Difficile d’adapter le roman dense et complexe de Kazuo Ishiguro, Auprès de moi toujours (Never let me go en anglais). On se souvient de la très belle adaptation d’un roman de l’écrivain, Les Vestiges du jour par James Ivory. Ici, c’est Mark Romanek, réalisateur de clips et de films, qui met en scène cette belle mais douloureuse histoire. Le passage à l’écran est réussi, le réalisateur a su garder la subtilité de l’écriture de Ishiguro, même s’il se concentre en priorité sur le triangle amoureux – sans niaiserie, heureusement (le film peut néanmoins paraître assez confus, si tant est que l’on ne connaisse pas le roman). Trois personnages qui se débattent dans leurs vies aux routes déjà toutes tracées : ils sont en vérité des clones, des "créatures" qui serviront à donner leurs organes avant de s’éteindre rapidement. Des questionnements sur l’éthique, la médecine sont lancés, mais aussi sur nous-mêmes, notre propre condition. Ce qui intéresse le réalisateur c’est l’humanité qu’il y a en ces personnages, et c’est ce qui au final, déroute le plus. Ils sont capables de souffrir, de rire, de ressentir et surtout d’aimer. Et pourtant, ils ne sont pas considérés comme des êtres humains puisqu’ils sont condamnés à mourir, jeunes, sans avoir réellement connus la vie. Ils ne pourront jamais voyager, avoir un métier, fonder une famille. Pour les autres, ils ne sont que des corps vides, des corps sans âmes. A travers cette histoire racontée par Kathy H., Mark Romanek choisit de s’intéresser à eux, ces clones à la recherche de réponses qui les hantent. Ce point de vue est beaucoup plus vibrant, choquant, que s’il avait été du point de vue scientifique, puisqu’il appelle à l’humanité en chacun de nous : comment ne pas s’attacher à ces êtres pleins de douleurs sans s’indigner? Des êtres qui courent après le temps, parce qu’il n’y en a jamais assez, au final, comme nous tous. Et l’issue, comme le dit Kathy à la fin, sera la même pour tout le monde – eux, nous : la mort, au bout du compte, inéluctable.
Le réalisateur a choisit une mise en scène élégante et calme pour tisser ce récit de vie(s) en trois temps, qui magnifie la nature (photographie superbe). C’est beau, c’est aussi d’une immense tristesse. Un des points négatifs du film néanmoins: les paysages, la photographie, la retenue de l’histoire empêchent le film d’émouvoir et celui-ci reste de glace, froid, excepté dans le dernier quart d’heure, bouleversant et qui balaie tout sur son passage. On aurait pu crainte un drame désincarné, mais heureusement la relève anglaise semble s’être donnée rendez-vous : Sally Hawkins, Keira Knightley, Andrea Riseborough (bientôt dans Brighton Rock), Domhnall Gleeson. Quand à Carey Mulligan et Andrew Garfield, c’est bien simple, ils bouffent l’écran de leur talent. Ils sont d’une fragilité telle qu’on ne craint qu’ils ne se brisent, d’une intensité telle qu’on ne voit qu’eux.
Never Let Me Go créé le genre de science-fiction réaliste, à des kilomètres de The Island que beaucoup ont tendance à rapprocher, sans raison. Il est question dans ce drame maîtrisé (trop peut-être, on aurait aimé plus de débordements, d’émotions) non seulement d’interrogations (aujourd’hui, le clonage est une réalité) mais surtout d’une injustice : celle de voir ces trois enfants, puis jeunes adultes, être pris au piège de ce qu’ils sont, de ce à quoi ils sont destinés, sans aucune échappatoire. Et de nous laisser la gorge sèche et le cur brisé.
J’adore l’actrice Keira Knightley et j’admire ces récents choix de film qui donnent toute la dimension de cette actrice qui n’a pas que du charme mais une vrai émotion pour jouer des rôles parfois simplistes mais « prenants » !
Adaptation dun roman de Kazuo Ishiguro, Never let me go est dune brûlante actualité, puisque ce film sort sur les écrans moins dun mois après la naissance en France du premier bébé-médicament -ou enfant du double espoir, comme le disent par euphémisme certains. Cette dystopie ne fait cependant queffleurer les questions éthiques soulevées par son sujet. De fait, elle ne sinterroge pas en profondeur sur la dimension morale de linstrumentalisation de la vie humaine. Ni sur ses conséquences psychologiques. Mark Romanek préfère se concentrer -à limage du livre ?- sur le triangle amoureux formé par Kathy, Ruth et Tommy : Jétais moins intéressé par le thème du clonage en lui-même que par le fait de men servir comme arrière-plan pour minterroger sur ce qui est vraiment important, ce qui compte réellement dans une vie, explique le réalisateur dans le dossier de presse. Lhistoire traite donc avant tout de lamitié, de lamour et de ce que vous choisissez de faire du temps qui vous est imparti. Cette approche assez inhabituelle pour un film de science-fiction donne à cette uvre sa singulière et troublante beauté mélancolique.
Mais si Never let me go réussit si bien à nous émouvoir, c’est aussi -et surtout- parce que son auteur s’appuie sur des interprètes en état de grâce. Carey Mulligan, découverte lannée dernière dans Une éducation, livre ici une prestation dune grande intensité. Tout comme Andrew Garfield (Deux surs pour un roi, The social network), dont la sensibilité à fleur de peau illumine chaque scène où il apparaît. On retiendra particulièrement celle où, se fondant sur les rumeurs qui agitaient l’imagination des élèves dHailsham, il vient apporter à Madame (Nathalie Richard) la preuve de son amour sincère pour Kathy, espérant ainsi obtenir un délai avant son dernier don. Keira Knightley ma en revanche un peu moins touché. Peut-être est-ce dû à son personnage.
On regrettera tout de même la tentation esthétisante à laquelle succombe par instant Mark Romanek. Celui-ci se laisse en effet aller à quelques plans au romantisme un peu trop accentué (voir la course de Kathy et Tommy sur le ponton). Un manque de sobriété dû au fait qu’il vient du monde du clip vidéo et de la publicité ? Toujours est-il qu’en agissant ainsi, il semble ne pas faire entièrement confiance à la force de son histoire. Dommage…
Malgré cette réserve, Never let me go est un beau film porté par de grands comédiens en devenir, sur un sujet grave, même s’il n’est abordé qu’en arrière-plan. Il vaut donc que l’on s’y abandonne. Et ce d’autant plus que la soumission de ces jeunes gens à leur sort, suite à l’endoctrinement dont ils ont été l’objet, nous donne à réfléchir, par métaphore, sur notre propre inertie face aux discours des politiques et des médias…